Retour sur ma rencontre avec les artisans du feu

C’est en cherchant des nouveaux lieux bruxellois pour les sorties Crok’errances que j’ai découvert La Fonderie, un lieu extraordinaire à Molenbeek dédié à l’histoire de l’industrie à Bruxelles. Première visite en 2014 avec un petit groupe de croqueuses, premières impressions…
L’odeur, une odeur particulière de feu, ou plutôt de feu et de fer, bref de forge qui nous pique les narines aux abords du site. Les bâtiments abandonnés et les fantômes rouillés de l’ancienne Compagnie des bronzes qui se dressent devant nos yeux. Les différents bruits des forgerons au travail – plus ou moins sourds, plus ou moins brefs, plus ou moins secs : le bruit du marteau sur le fer, le bruit du fer sur l’enclume, chaque forgeron et chaque pièce a son chant si on tend l’oreille. L’alignement de hautes flammes et d’enclumes autour desquels vont et viennent des hommes – les forgeronnes semblent rares – aux grands tabliers de cuir et aux bandanas noirs de pirate…Et les consignes en plusieurs langues de Michel par-dessus le vacarme : « Warmer ! Plus chaud ! Vesuvio ! Chauffez le fer ! Meer warmte ! Un forgeron froid c’est un forgeron mort ! Votre outil le plus important c’est quoi ? C’est le marteau ? Non, c’est le FEU ! »

Nous revenons croquer les stages cet été à l’initiative de Feu et Fer et de La Fonderie et retrouvons avec beaucoup de plaisir ce lieu inspirant et unique, l’accueil généreux et les partages qui se nouent entre formateurs et stagiaires, artisans et passants, accueillants et accueillis. Chaque atelier a son ambiance, son langage, son énergie, autant de beaux défis pour les croqueurs !

Les croquis réalisés sont présentés dans le cadre de la magnifique exposition « De taal van metaal – Les apprentis du feu » qui se tient à la Fonderie jusqu’au 4 décembre. Toutes les infos pratiques ici !

 

Croquis de Florence Plissart à la FonderieCroquis_Florence_Plissart_Fonderie_forgeron_4

La forge, impressionnante, physique, directe…Les forgerons alternent entre deux positions : la position « feu » et la position « enclume », il y a des variantes et des combinaisons, mais leurs attitudes tendent à se répéter beaucoup, ce qui en fait d’excellents sujets en mouvement pour le dessinateur ! Toucher la matière au coeur, la rougir, la faire plier, il y a un mystère dans ces gestes venus de loin et cette relation troublante avec le feu. Flamme crépitante, hypnotique va-et-vient des marteaux, visage noirci des apprentis. « Le processus, me confie l’un d’entre eux, avec son apprentissage et ses gestes, me passionne plus que le résultat ». « La forge c’est excitant, dit un autre, on modifie la matière » ! Les mythes du feu ne sont pas loin, les forgerons sont restés un peu démiurges. « Effacer les traces de mes coups de marteaux, c’est la dernière chose que je voudrais, explique Michel : c’est ça qui fait toute la beauté de la forge ».

Un peu plus loin, les artisans du bronze fabriquent leurs moules selon la tradition de cire perdue burkanibé enseignée par Salif. Ils en sont à la pose d’une glaise mêlée de crottin d’âne par-dessus leur premier jet en cire. Taper la terre de temps en temps, pour qu’elle soit bien homogène et éviter les accidents de cuisson. Les mains pleines d’argiles, ils enrobent d’étranges formes dans lesquelles il est difficile de deviner les statuettes façonnées dans la cire. Qu’est-ce que tu as sculpté, je demande à une stagiaire. « Un cheval volant, une petite femme qui attend famille, une sorte d’ange. C’est mon septième stage, chaque année je prends deux semaines, pas question de faire autre chose, ce sont mes deux semaines pour sculpter ! Ce serait bien d’être présent les derniers jours, quand on va faire la coulée pour remplir les moules, et le lendemain quand on les casse et qu’on sort les sculptures ! » Oui, ce sera magique. Et pour d’ici là c’est beau ces drôles de formes qui sèchent au soleil en attendant de libérer leur surprise plus tard, et cette frappe de la terre, et le contraste de l’argile claire sur les mains sombres de Salif !

epson013

A l’autre bout du terrain, ça bouge dans tous les sens. Bienvenue chez Saoud et ses assembleurs, les plus bruyants, les plus mobiles des créateurs du coin, les plus délirants aussi. Ils découpent, ils martèlent, ils frappent, ils scient, ils soudent, ils essaient, ils recoupent, ils n’ont peur de rien; pour eux tout est possible et tout se transforme, ils rassemblent pour redonner vie… Avec trois bouts de ferraille et beaucoup d’outils ils créent ce qui leur chante, objets utiles ou installations fantastiques pas toujours déchiffrables. Gaston Lagaffe du métal, aventuriers de la récup, ferrailleurs visionnaire, les rebuts sont leur matière et la casse leur coffre au trésor. Ils sont prêts à tout et je pense qu’ils seraient capables de construire une fusée qui emmènerait vraiment les rêveurs sur la lune. Ce ne sont pas les plus faciles à dessiner, pourtant ils sont réellement à croquer ! Croqueur égaré parmi eux, attention aux étincelles, aux fils électriques, aux bouts de métal tranchants posés un peu partout et à ne pas quitter des yeux ta boîte d’aquarelle en fer : elle pourrait se retrouver soudée en un rien de temps à un vieux bout de moteur pour vivre une deuxième vie en tant que lampe, squelette de dinosaure ou machine volante…

Croquis_Florence_Plissart_Fonderie2

Autre rythme, autres postures. Sous la tente, Mustafa initie à l’orfèvrerie des Touaregs et au passage à leur art de vivre. Sur un feu à même le sol, l’argent fond, la théière chauffe. Un petit poste diffuse de la musique berbère qu’on entend par intermittence quand les assembleurs font une pause. Echanges et silences alternent, c’est fluide, peu d’explications et beaucoup de gestes, on prend le temps. Douceur, précision, détails, harmonie,  on se sent bien, on se sent flotter dans cette petite bulle de désert recréée en plein Bruxelles, on resterait bien plus longtemps, on donnerait bien quelques coups de soufflet, il faut attiser le feu de temps en temps, il fait chaud, on reprendrait bien un thé à la menthe, on discuterait bien d’ici et de là-bas, on se fabriquerait bien sa propre bague ou son propre pendentif, on observerait bien ces bijoux pendant des heures, on dessinerait bien encore une fois cet homme enturbanné, c’est beau, on reprend une feuille, quelques brasilles échappées du feu viennent piquer ma peau et trouer mon papier, c’est rien, on a le temps, on va rester encore un peu…

Croquis_Florence_Plissart_Fonderie_orfèvrerie_touareg_5

Croquis_Florence_Plissart_Fonderie_tourareg_6

Merci pour ces belles rencontres à Alain, Anne, Bénédicte, Dominique, Michel, Mustafa, Naiara, Salif, Saoud, ainsi que tous les stagiaires et toute l’équipe de la Fonderie !

PartagerTweet about this on TwitterShare on FacebookPin on Pinterest